Vendredi dernier :Clinique des Pages au Vésinet pour rencontrer le docteur Nomblot. Objectif du rdv : en savoir plus sur une éventuelle hospitalisation et savoir si il y a également une équipe qui peut la suivre en externe.
Le Docteur s’est trompé dans l’heure du rendez-vous. Il faut attendre une heure. Je lui propose d’aller se balader dans le parc ou en ville en attendant.
Mais là, elle commence à pleurer. A s’inquiéter. Elle a trop de devoirs. Quand va-t-elle pouvoir travailler? Même si on est vendredi, il est impossible pour elle d’aborder le weekend sans avoir terminé ses devoirs pour la semaine qui suit.
Impossible de la calmer. Je ne parle pas… je ne sais pas quoi dire et dans ce cas il vaut mieux se taire. La laisser pleurer. Je reste à son écoute, mais ne réagis pas. Je ne la console pas. Je suis juste là pour elle.
Elle parle, exprime ce qu’elle ressent. Explique qu’elle est obligée de faire son travail pour se calmer. Mais qu’elle est tellement épuisée, tellement fatigué. Qu’elle en a tellement marre de cette maladie et du lycée.
Ce rendez-vous tombe très bien car elle commençait à envisager l’idée de se faire hospitaliser. Elle en a même parlé avec ses amies et celles-ci ont l’impression qu’elle n’attend que ça…
Le docteur la prend seule. Ensuite, avec moi. En rentrant, elle me dit avec son petit air hautain et moqueur « Ecoutes maman, écoutes bien ce qu’IL va te dire »… Je la sens remontée, révoltée. Je ne dis rien. J’écoute.
Le docteur a clairement expliqué ce qu’implique une hospitalisation. Pas de mensonges, pas de beaux discours. Juste la réalité : 9 semaines d’hospitalisation. Un contrat entre elle et la clinique:
IMC de 14 : pas de contact avec la famille
IMC de 15 : courrier avec la famille
IMC de 16 : téléphone …. etc…
Je n’ai pas les détails, mais je retiens (et elle surtout) que les contacts avec la famille et les proches seront uniquement permis en fonction de sa prise de poids.
Petit à petit elle se détend un peu. Elle voit que je ne fait qu’écouter et elle se dit que le psychiatre n’est peut être pas tellement odieux que ça. Elle commence à poser des questions : Que fait-on toute la journée? Est-ce qu’on ne déprime pas quand on est là? Est-ce qu’on peut suivre des cours?
On lui répond en toute franchise : ses journées seront occupées par les repas. Ce sera une telle obsession, un tel effort à fournir, qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle s’ennuie. Et puis quelques activités, les rendez-vous avec l’équipe médicale. Pas d’école…. Les journées passent très vite.
On quitte la clinique. Elle me dit qu’il est hors de question qu’elle se fasse hospitaliser.
Je lui dis que cela ne dépendra que d’elle. Que c’est elle qui décidera. Qu’on ne la forcera pas. J’explique que c’est uniquement si elle a un vrai problème de santé, qu’elle sera hospitalisée dans un vrai hôpital. Et qu’ensuite elle serait transférée en clinique.
Je suis honnête avec elle. Pas question de lui faire peur, de lui raconter des mensonges. Je sais qu’une hospitalisation contre son gré n’est pas possible. Et puis, on sait que les résultats ne sont pas bons dans ce cas.
On rentre et je prépare le diner. Elle me dit qu’elle veut manger des aliments orange, des aliments « chauds » des aliments qui sont « gezellig » … (cosy, agréable, ronds….).
Je mets la table dans la salle à manger, avec la nappe de couleur « chaude », les bougies…
Son papa a du retard donc on commence à manger à trois.
Et puis, remarque de son frère. Remarque innocente en temps normal. Mais elle jette ses couverts et quitte la pièce en hurlant. Elle en veut à son frère. Elle en veut à sa maladie. Elle pleure, elle crie et se roule par terre.
Je suis impuissante mais reste avec elle.
Son papa rentre et prend le relais. Je vais voir son frère. Elle se calme au bout d’un moment et ils parlent. Mais ensuite, c’est de nouveau la crise. Elle hurle contre son père. Lui dit qu’il ne comprend rien. Elle lui en veut de lui avoir parlé de l’hospitalisation. Que cela est inévitable. Et elle est convaincue que ce qu’il veut, il l’obtient. Elle a l’impression qu’il ne lui fait pas confiance. Qu’il pense qu’elle ne s’en sortira pas.
Elle monte dans sa chambre. Continue à crier, à pleurer. Se roule en boule et ensuite elle commence à faire ses devoirs. Me dit qu’il faut qu’elle travaille….
Je la laisse et elle fini par aller se coucher.
Le lendemain, on va voir Jacqueline. Une dame qui travaille sur les énergies du corps. Elle pleure pendant tout le trajet. Pourtant elle a envie d’aller la voir et de nouveau je suis contente qu’on ait ce rendez-vous qui va pouvoir l’aider.
Elle continue à être fâchée avec son père. M’explique ce qu’elle ressent. Qu’elle a des comptes à régler avec lui. Qu’il faut que je lui parle pour lui expliquer qu’elle veut parler avec lui. Qu’elle ne veut pas qu’il se justifie en permanence. Qu’il lui parle de son passé, de sa famille. Qu’il lui fasse des excuses pour ce qu’il lui a dit la veille. Et surtout, qu’il lui fasse confiance.
J’appelle mon mari. Lui explique ce qu’elle m’a dit. Qu’elle a envie d’aller au cinéma avec lui le soir, mais qu’avant, il faut qu’ils parlent.
Le rendez-vous avec Jacqueline s’est très bien passé. Beaucoup de choses sont remontés. Elle parle des infidélités de son père. Elle en souffre. C’est la première fois qu’elle aborde ce sujet et me demande si elle peut en parler à Delphine.
Je la rassure et lui dit qu’il faut qu’elle l’exprime.
Qu’il est important de connaître l’histoire de sa famille, de son père….
Elle sort soulagé de cette rencontre. Me demande en permanence si j’en ai parlé avec son papa. Si je lui ai expliqué ce qu’elle ressent. Elle a peur de parler avec lui, d’affronter la discussion, mais elle sait aussi qu’elle en a besoin.
Le soir, ils partent ensemble. Au cinéma. Au restaurant. Soirée très détendue pour tous les deux. Elle est contente car ils ont pu parler. Le nuage est passé. Les choses sont plus claires. Ils se retrouvent.
Je vais diner avec notre fils. Soirée très sympa et détendue. Et lui parle aussi de l’histoire de famille, de sa grand mère, de ses grands parents. Il prend ça très calmement. Ce n’est pas sa vie. Il n’a pas le même besoin de savoir.
Dimanche, elle a un massage avec Nassima pendant 2 heures, car elle a mal au dos et les séances de kiné ne lui font rien. Un massage très particulier, difficile à décrire. Nassima ressent les tensions de ma fille, sent que son dos est totalement bloquée, qu’elle ne respire pas, que tout est coincé. Elle travaille dessus, pour lâcher les tensions.
Et le résultat est époustouflant. Le lendemain, elle n’a plus mal au dos, beaucoup moins de tensions….!!
Le soir, elle me voit préparer le diner dans la cuisine. Et c’est trop. Elle a fait de gros efforts pour manger ce weekend. D’énormes efforts. Même si c’est peu, elle n’a pas sauté de repas.
Et elle retourne pleurer dans sa chambre. Se couche dans son lit. Son papa rentre et va la voir. Mais elle ne veut pas descendre, ne pas venir manger.
Je la laisse seule. Après une demi-heure, je monte dans sa chambre. Lui dit qu’elle peut rester au lit, et descendre quand elle le veut. On parle tranquillement. Je l’écoute exprimer sa souffrance. Lui dit que si je ne dit rien, c’est que je ne peux pas lui donner de réponses…. que je ne peux pas sentir ce qu’elle ressent, mais que je vois qu’elle est mal. Elle fini par descendre et se mettre à table.
Mais c’était de courte durée, car une fois que je l’ai servie, elle retourne dans la cuisine. Pleure encore. Se roule sur le sol. Elle ne peut pas manger. Elle ne peut pas affronter la nourriture. On a peur, car il y a les couteaux dans la cuisine. Et quand elle fait une crise d’hystérie, on ne sait pas ce qu’elle peut faire.
Doucement, j’enlève les couteaux, doucement je vais la voir. Et doucement je la prends dans les bras… au moment où elle les tend.
Elle parle encore, m’explique. Et se calme. Demande si elle peut se servir elle-même à table. Que c’est plus facile pour elle de prendre la nourriture quand elle se sert et qu’elle est considéré comme les autres. Je la laisse faire et elle mange…De la purée de potirons dans lequel j’ai rajouté du sucre sans qu’elle le sache.
Elle se ressert à plusieurs reprises. Au bout d’un moment, j’enlève le plat car je vois qu’elle ne peut pas s’arrêter. Je ne veux pas qu’elle se culpabilise après et qu’elle tombe dans la boulimie. Donc je l’aide à se maîtriser. Dans l’autre sens.
Pour d’autres personnes cela peut paraître anormal. Pourquoi enlever un plat alors qu’elle est prête à manger? Mais je pense que les personnes qui connaissent cette maladie me comprendront.
Et le lendemain, elle me remercie de l’avoir fait. Elle m’a dit qu’elle se sentait bien d’avoir mangé. Pas trop, pas trop peu. Et que cela l’encourage à faire mieux.
Nous faisons des pas géants! Malgré les crises du weekend, nous arrivons à trouver le chemin. Peut être que ceci n’est que temporaire? Mais tous les petits pas sont importants.