Hier soir je suis rentrée vers 19 heures.
Ma fille était allongé dans le fauteuil devant la télévision. Généralement elle est contente de me voir et elle raconte sa journée. Mais là, comme cela arrive plusieurs fois par semaine, elle est renfermée. Je sais que quelque chose s’est passé mais je n’ai pas le courage de l’aborder immédiatement. Je prends d’abord le temps de voir aussi mon fils. De prendre un verre de vin. Et de me préparer mentalement à une soirée qui, je sens, va encore être difficile.
Je vais la voir et lui demande comment elle va. Elle bouge un peu la tête mais on voit que ça ne va pas. Je lui demande si elle a fait une crise de boulimie. Elle me dit que oui. Au goûter. Elle a commencé à manger un petit pain au raisins, et ensuite elle ne pouvait plus arrêter. Mais elle ne veut pas me dire ce qu’elle a mangé. C’est trop difficile d’en parler. Elle a trop honte.
Elle me demande de la laisser toute seule. Je quitte le salon et je vais préparer le diner : tarte aux tomates et salade verte avec parmesan. Je sais que cela ne lui conviendra pas. Mais je sais aussi que rien ne lui conviendra ce soir….
J’appelle les enfants pour diner. Elle entre dans la cuisine. Regarde son assiette. Dit non avec la tête. Enlève la tarte de son assiette. Et finalement elle remonte dans sa chambre. Sans rien dire, sans rien manger.
Je la laisse partir et je mange avec son frère. Il commence à avoir l’habitude de ce type de réactions. On discute donc tranquillement à deux. Après le repas j’entends ma fille pleurer dans sa chambre. Des pleurs forts, on sent sa souffrance, sa douleur.
Je vais la voir. Elle ne me repousse pas. Mais elle continue à pleurer. A dire qu’elle n’en peut plus. Qu’elle a tellement honte. Qu’elle a tellement mal.
Je la sert dans les bras et je me revois 16 ans en arrière.
Quand elle était bébé, elle pleurait souvent les premières semaines. Je passais des nuits à côté de son berceau pour la calmer en lui caressant le dos, en lui parlant doucement. Elle avait faim, elle avait mal au ventre. L’allaitement était difficile.
J’étais fatigué. Je ne voulais qu’une seule chose : qu’elle s’endorme Pour que je puisse dormir.
Aujourd’hui j’ai ce même sentiment, cette même envie. Faire de sorte qu’elle arrête de pleurer, qu’elle arrête d’avoir mal.
Finalement, elle se calme. Je lui demande de me parler de sa crise de boulimie. Lui explique que j’ai besoin de savoir afin de pouvoir l’aider. De pouvoir prévoir.
Elle me montre la feuille sur laquelle elle note tout ce qu’elle mange. C’est la nutritionniste qui lui a demandé de le faire. Effectivement, elle a mangé de la pâte à tartiner, des biscuits, des biscottes…. Énormément à ses yeux, mais franchement, pour quelqu’un de « normal » cela n’est pas vraiment exceptionnel. Elle n’a mangé que des choses qu’elle aime. Pas n’importe quoi, comme cela peut être le cas dans les crises de boulimie.
Je lui ai donc dit que j’enlèverais ces aliments pour qu’elle ne soit pas tentée. Je l’ai fait de suite et cela l’a rassuré.
Ensuite je lui ai préparé son repas : filets de poulet, salade verte, yaourt.
Trop peu. Beaucoup trop peu. Mais au moins, elle reste en vie avec ça.
Elle ne veux pas se coucher tôt. Donc elle reste avec moi toute la soirée. Et honnêtement, je n’ai qu’une envie : c’est d’être seule à la fin de la journée.
Aujourd’hui, elle a quelques cours particuliers à la maison. Mais comme il y a un trou entre 10 et 14 heures, je lui ai demandé d’aller au centre commercial pour aller chercher quelques affaires dont j’ai besoin.
Jusqu’à maintenant j’ai évité de lui demander ce type de choses car j’estime que ce n’est pas à elle e faire des courses etc.
Mais finalement, elle a presque 17 ans, elle ne va pas à l’école, elle s’ennuie et elle ne veut rien faire pour elle . Malgré toutes les idées que je lui donne (l’auto-école, cours d’examen d’anglais, cours de cuisine, expositions d’art ….), rien ne l’intéresse.
Par contre, faire les courses et m’aider ne la dérange pas. Donc, je vais l’occuper comme ça pendant quelque temps pour voir ce que ça donne.
Voilà une soirée comme je les vis 3 fois par semaine en moyenne. C’est épuisant et je n’ai honte de le dire.
Ce soir elle sera probablement très bien.
Et maintenant, je vais appeler son médecin pour lui faire part de toutes ses évolutions et lui demander si il n’existe pas des groupe de paroles pour les patientes comme elle dans notre coin. Comme les Weight Watchers ou les AA …